En 2025, avec une croissance de +14%, le marché de la publicité atteint 10,97 milliards d’euros, soit 31% du marché total des investissements médias en France, révèle le 33ème Observatoire de l’e-pub. Les questions de transparence et d’éthique sont alors devenues fondamentales autant pour les annonceurs que pour les consommateurs.
La loi Sapin, votée en 1993 pour assainir les pratiques publicitaires traditionnelles, a posé les bases d’un marché plus équitable. Cependant, son application au monde digital s’est longtemps heurté à de nombreux obstacles : écosystème complexe, chaînes d’intermédiaires opaques, et acteurs internationaux échappant aux réglementations françaises.
Face à ces défis, le nouveau décret d’application de la loi Sapin 2 marque une évolution significative. Il adapte enfin ses principes fondamentaux de transparence aux réalités du marché publicitaire numérique actuel. Mais quels changements concrets apporte-t-il pour les acteurs du secteur ? Et comment va-t-il transformer les pratiques dans un environnement dominé par les géants technologiques et les algorithmes ?
Une loi pour éclairer un marché longtemps opaque
En réponse à de nombreuses controverses, non seulement financières, mais aussi politiques, la loi Sapin avait un objectif clair : mettre fin à l’opacité des transactions publicitaires. Avant la mise en place de la loi, entre les annonceurs, les agences et les supports (TV, presse, radio), les marges arrières, les ristournes cachées et les doubles facturations étaient monnaie courante. Résultat : l’annonceur ne savait jamais vraiment combien coûtait réellement un espace publicitaire acheté.
La loi imposait un principe fort : toute agence agissant pour un annonceur doit le faire en tant que mandataire, via un contrat écrit. Mais surtout, la facturation des espaces doit être adressée directement à l’annonceur par le support, avec interdiction pour l’intermédiaire de recevoir une quelconque rémunération du support.
Une révolution pour l’époque… mais qui montre ses limites dans le digital.
Depuis les années 2010, le centre de gravité de la publicité a basculé vers le digital. Programmatique, plateformes globales (Google, Meta, Amazon, DSP, retargeting, cookies tiers, IA prédictive…). Pourtant, les principes de la loi Sapin s’y appliquent avec difficulté.
C’est ce que le décret n°2017-159, entré en vigueur en 2018, est venu contrer. Les obligations de transparence et de mandat concernent aussi la publicité digitale, quel que soit le support.
Le problème ? Les grandes plateformes internationales ne sont pas soumises au droit français. Résultat : certaines régies localisent leur facturation à l’étranger, très souvent en Irlande, échappant au champ de la loi, à la TVA française, et faussant les règles du jeu pour les médias hexagonaux.
Les limites actuelles de la loi sapin dans le digital
La complexité du programmatique
Dans le programmatique, une campagne peut générer des dizaines de milliers d’achats d’impressions, dans des contextes variés, avec des logiques d’enchères en temps réel. Il est donc difficile, si ce n’est impossible, d’attribuer clairement un message publicitaire à un annonceur. La marge des SSP, variant entre 6% et 20%, reste opaque car elles ne sont souvent pas détaillées dans les comptes rendus aux annonceurs, ce qui va alors à l’encontre de la transparence requise par la loi.
La mesure des performances aux mains des plateformes
Autre faille majeure : les plateformes mesurent elles-mêmes leurs propres performances publicitaires. Cela génère alors un manque total d’indépendance, qui empêche l’annonceur de comparer objectivement les résultats d’une campagne entre plusieurs environnements.
Un déséquilibre économique et fiscal
Comme le rappelle le SNPTV (Syndicat national de la publicité télévisée), 6,5 milliards d’euros d’achats médias ne transitent pas par les régies françaises, mais par les filiales européennes de Google, Meta ou Amazon. Cela prive alors l'État français de 1 à 1,5 milliards d’euros de recettes fiscales par an… et désavantage les agences et médias français.
Et les agences digitales dans tout ça ?
En ce qui concerne les agences digitales, la loi Sapin impose rigueur et transparence : elles doivent contractualiser leur mission auprès de chaque client, facturer uniquement leurs honoraires, et ne pas recevoir de rémunération des plateformes ou des éditeurs.
Cette obligation, si elle peut sembler contraignante, est en réalité une formidable opportunité de :
- Se différencier par l’expertise et la transparence
- Renforcer la confiance des annonceurs, notamment les PME/ETI souvent perdues face à la complexité des leviers digitaux
- Créer de la valeur via le conseil et la performance, plutôt que par des marges opaques sur l’achat d’espace.
Mais pour que cette transparence soit complète, encore faut-il que les plateformes jouent le jeu.
Une modernisation de la loi Sapin ?
Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent, dont celles de l’ARCOM ou du SNPTV, pour moderniser la loi Sapin à l’ère numérique.
L’intention derrière cette modernisation serait alors d’imposer des standards de mesure d’audience communs, audités par des tiers indépendants, tout en créant un cadre européen homogène, afin d’éviter les contournements fiscaux. Ce cadre vise également à rendre plus visibles les flux financiers dans le digital, notamment via la traçabilité des achats programmatiques.
Des propositions sont sur la table (proposition de loi Lafon, règlement EMFA) pour renforcer ces exigences. Mais elles peinent encore à se concrétiser.
La loi Sapin, un socle, mais pas une fin en soi
Trente ans après son adoption, la loi Sapin reste un texte fondamental pour assainir le marché publicitaire. Elle a imposé une transparence salutaire dans un secteur historiquement opaque.
Mais dans le contexte digital actuel, ses limites apparaissent. Pour les agences digitales, respecter la loi Sapin est un minimum, mais aller plus loin dans la transparence, la pédagogie et la performance est devenu un avantage concurrentiel.
Sources :
- https://www.influencia.net/publicite-revenir-aux-sources-de-la-loi-sapin/
- https://www.jean-pimor-avocats.fr/actualites/la-vie-des-affaires/la-loi-sapin-tribunal-de-commerce-avocat-conseil-mandataire-
- https://www.lexisnexis.com/blogs/fr-juridique/b/droit-des-affaires/posts/publicite-digitale-transparence-achat-espaces-publicitaires?srsltid=AfmBOooNCDwNhic3SryqlNqIBpzweBZb8d46WTnk72LA1PtMOYDtAorF
- https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000711604
- https://blog.realytics.io/fr/la-loi-sapin-et-la-facturation-dachat-despaces-publicitaires-tv
- https://www.axess.fr/blog/marketing-digital/transparence-la-loi-sapin-etendue-la-publicite-en-ligne
- https://www.petitweb.fr/tendance/programmatique-et-loi-sapin-entre-le-clair-et-lobscur/
- https://www.strategies.fr/blogs-opinions/idees-tribunes/1057618W/la-transparence-ne-passera-que-par-le-partage-des-outils-et-de-l-information.html
- https://www.admtv.org/television-loi-sapin/
- https://www.arcom.fr/se-documenter/etudes-et-donnees/etudes-bilans-et-rapports-de-larcom/evolution-du-marche-de-la-communication-et-impact-sur-le-financement-des-medias-par-la-publicite